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samedi 24 septembre 2011

Erreur journalistique: les banques françaises sont victimes des dettes souveraines et une réglementation de type Glass-Steagall n'y ferait donc rien

Un Anglo-Saxon
Nous réagissons dans ce billet à l'article Pourquoi les Anglo-Saxons veulent-ils réformer leurs banques? du journal Le Monde, rédigé sous la plume de Soren Seelow. L'article ne se contente pas de répondre à la question du titre mais présente aussi, en contraste, la position française, attachée au statu quo de la banque universelle. Les arguments soutenant ce dernier sont absurdes pour l'initié et des pièges pour le néophyte (0). Nous tentons, ici, de corriger ce parti pris, argument par argument. Pour ceux qui sont pressés, voici un condensé de ce qu'il aurait fallu communiquer: les Anglo-Saxons (mais aussi la Suisse) ont de bonnes raisons de réformer leurs banques; s'imaginer que la France peut s'en abstraire, c'est la politique l'autruche, poursuivie jusqu'à présent, et témoigne d'un mépris pour la gouvernance mondiale.

Le Glass-Steagall Act a été la traduction réglementaire des enseignements de la grande dépression. Dans les années 80, l'Europe a ouvert la voie de la banque universelle. Les Etats-Unis l'ont suivie, la décennie suivante (Gramm-Leach Bliley Act), sous l'impulsion des lobbys, entre autres. La crise de 2008 a tristement mis fin aux illusions de triomphe de la financiarisation et il s'ensuivit un retour de bâton réglementaire : la législation Dodd Frank aux Etats-Unis et le rapport de l'Independent Comission on Banking (ICB) en Grande Bretagne. Jusque là, rien à dire.

C'est maintenant que ça se gâte : paradoxe, et même «pas des moindres», dit l'article au sujet de ces réformes, sous prétexte que ces deux pays sont «champions du libéralisme». Le contraire eût été faire l'autruche, la politique suivie par la France.  Si, comme le remarque l'article, notre pays a été épargné par le choc de 2008, cela n'est vrai que dans une mesure relative et seulement initialement (2), c'est à dire sans compter le contrecoup que nous subissons maintenant. Plutôt que de présenter cela comme expliquant l'attentisme des autorités (folie française lit-on dans le Financial Times), l'article tend à s'en servir pour le justifier. Autrement dit, le modèle est le bon!

Si les banques françaises sont maintenant dans la tourmente, suggère l'article, un coupe-feu protégeant des aléas de l'activité de marché n'y ferait rien (2) parce que ce sont les dettes souveraines qui sont en cause, alors qu'elles étaient considérées jusqu'alors comme l'investissement sans risque par excellence. C'est une piteuse excuse (3) qui passe sous silence l'autre aspect primordial des réglementations anglo-saxonnes pré-citées, le renforcement des fonds propres. Dans ce domaine les françaises ont accentué leurs risques et sont les mauvais élèves de l'Europe. Elles sont maintenant obligées (et en train) de faire machine arrière sous la pression du FMI, en dépit des lourdingues dénégations du gouvernement français.

Autres grosses ficelles censées promouvoir le statu quo:
Northern Rock était une simple banque de détail, et Lehman Brothers n'avait pas de dépôts. Les deux ont pourtant fait faillite. Un cloisonnement des activités ne présenterait donc aucune garantie de solidité.
Le rapport de l'ICB répond explicitement à ces arguments (4). Il s'agit de protéger, en priorité, les fonctions vitales du système bancaire, pas la banque d'investissment (comme Lehman). Et, le cas échéant, faciliter la mise sous règlement judiciaire des établissements défaillants. Une banque de détail soumise à Glass Steagall n'aurait ni été créancière à moyen et long terme de Lehman, ni liée à cette dernière par un contrat sur produits dérivés, pas même par intermédiaires interposés (5). Enfin, Lehman et Northern avaient toutes les deux des leviers financiers excessifs. Environ 60, de mémoire, contre les 15 recquis maintenant par la réglementation aux états-unis.

Autre argument avancé pour écarter une séparation de type Glass-Steagall en France:
En outre, les dépôts sont garantis en France à hauteur de 75 000 euros par personne, un montant largement suffisant pour rassurer la majorité des épargnants en cas de risque de faillite.
L'auteur insulte ici le bon sens et le contribuable. Cette disposition existe (partout dans le monde) parce qu'elle est jugée préférable à une paralysie des moyens de paiements et la mise difficulté (y compris faillite) des usagers type (particuliers et PMEs) du segment appellé banque de détail. Mais il n'y a pas de «free lunch». Au travers de la garantie étatique, c'est le contribuable qui serait amené à payer la facture d'une faillite bancaire. La moindre des contreparties c'est que le métier de la banque de détail ne soit pas polluée par les activités de marché, bien plus risquées.

En fin d'article, il est rappellé, pour faire contrepoids aux arguments précédents, que la rentabilité (espérée) est fonction du risque, mais que ce dernier est déterminé par l'intérêt de l'actionnaire, qui est divergent de celui de l'épargnant (il vaudrait mieux parler de l'usager et de la société dans son ensemble). Même en supposant que cet argument soit pertinent,  cela ne saurait effacer les sophismes que nous avons relevés. Il aurait été du devoir du journal de les exposer au lecteur. En plus, ce dernier argument est lui même bancal, dans la mesure où il prétend justifier la banque universelle du point de vue de l'actionnaire. Sur le plan théorique c'est déjà contestable (6). Mais c'est surtout empiriquement qu'il est singulièrement erroné. Le risque de l'actionnaire n'est pas compensé par un rendement adéquat : à chaque crise les valeurs bancaires s'effondrent au point d'anihiler les gains passés, et l'actionnaire est sytématiquement plumé. C'est un paradoxe repris dans les écrits de Nassim Taleb, notamment dans une récente tribune intitulée Un braquage de Génie (7).

En introduction nous évoquions le mépris de la gouvernance mondiale. C'est un sujet absent du raisonnement du billet examiné. On entend souvent que dans un monde globablisé les nations doivent agir de concert pour que les efforts des uns (en matière d'environnement, par exemple) ne soient pas anéantis par ceux de quelques réfractaires. Dans ce domaine, c'est nous qui sommes dans le mauvais rôle. D'une part, nous freinons les efforts des Anglo-Saxons (mais aussi la Suisse) à faire ce qui est nécessaire, parce que nous apportons de l'eau au moulin des lobbys qui disent que notre réglementation laxiste pénalise leurs places financières (8). D'autre part, nous faisons subir à nous même et, globalisation oblige, au monde, un risque systémique. On lit parfois que les Etats-Unis n'ont pas de leçon à donner en raison de leur responsabilité en 2008: c'est du patriotisme mal inspiré. La dette qu'ils ont envers nous, c'est de remettre en ordre leur système financier. C'est ce qu'ils ont commencé à faire. Mais que chacun balaye devant sa porte.

(0) Les prudences d'usage contenues dans les formules comme «D'après des partisans du statu quo [en France]» ne sauraient faire croire à une neutralité de point de vue, car l'auteur ne donne pas au lecteur les éléments contradictoire.  (1) Et avant 2008, songeons à l'affaire Kerviel et les scandales financiers du Crédit Lyonnais. Dans le deuxième cas, certains ont commodément ou à raison, selon les cas, rejeté la responsabilité sur la gestion publique (la banque était nationalisée). D'abord, la sanctuarisation aurait interdit au Crédit Lyonnais ses investissements hasardeux. Ensuite, rappellons que blanchi, renfloué et privatisé, le Crédit Lyonnais (devenu Calyon) a connu un scandale similaire à l'affaire Kerviel, quoique passé inaperçu dans le chaos de la crise financière.  Le modèle commun à la gestion publique et celle du privé, dans cet exemple,  c'est la banque universelle. (2) Paragraphe visé : «Une réforme à la britannique aurait-elle permis de protéger les banques françaises contre leur exposition à la dette grecque ou italienne ? [...]» (3) Fin 2009, la Banque des Règlement Internationaux (BRI) mettait déjà en garde que les dettes souveraines pourraient êtres les nouveaux «subprimes» de la prochaine crise. Cf Will sovereign debt be the new subprime? du Financial Times. (4) Cf §2.29 et l'encadré 2.1. Voici un extrait du premier: «One objection to the ring-fencing recommendation is that some prominent casualties of the crisis of 2007-8 were not universal banks, particularly Lehman Brothers and Northern Rock. [... Ring fencing] curbs incentives for excessive risk-taking within universal banks by improving resolvability, and insulates retail banking against contagion from disorderly collapses of investment banks.» (5) Une banque de détail aurait toutefois pu placer ses excédents de trésorerie en prêtant à Lehman sur le marché monétaire (échéance de un jour à 3 mois). Mais le risque c'est surtout de se trouver dans la position de Lehman ou Northern Rock, en cas de crise, c'est à dire l'impossibilité de refinancer, faute de contrepartie. Ce risque persiste, et même s'il en moindre, dans le cas d'une banque de détail (non universelle), c'est bien pour ça que le deuxième pilier des réglementations évoquées est un renforcement des ratios prudentiels (pas seulement les fonds propres). (6) En théorie financière (aseptisée), l'actionnaire peut synthétiser le levier financier qu'il souhaite et est donc neutre vis à vis de celui de la firme dans laquelle il investit, en première approximation. Donc, il n'y a pas lieu de particulièrement justifier, de son point de vue, les levier financiers élevés observés chez les banques universelles. Selon un principe similaire, en séparant la banque de détail du reste en deux sociétés distinctes, l'actionnaire pourrait alors synthétiser sa propre banque universelle. Il aurait plus de choix.  (7) Nassim Taleb considère que l'actionnaire est spolié par la banque  d'investissment et appelle ce premier à imposer une gestion saine, au nom de la «responsabilité morale et professionnelle». Il nous semble toutefois que son article ne creuse pas suffisamment les conflits d'intérêts en présence. En effet, les actionnaires en droit, fonds de pensions et fonds mutuels (buy side), agissent pour le compte de retraités et épargnants, respectivement. D'autre part, il existe une collusion notoire entre sell side (banque d'investissment) et le buy side. (8) Cf le billet Folie financière lit-on dans le FT.
 










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